Profanes :))
Octave a 90 ans et c'est dans sa vie et ses pensées que
nous voila entraînés.
Petite pensée inévitable pour Mon Couronnement, de Véronique Bizot, qui a le même point de départ, mais la ressemblance s'arrête là. Beaucoup d'humour dans le second, et une belle vision de "ce qui se perd" en vieillissant, qui n'est pas du tout le sujet du premier.
Octave, donc, a 90 ans, et est un ancien chirurgien du coeur. Ancien chasseur également. Qui donne la vie d'un côté (sans jamais se prendre pour Dieu !) et l'ôte de l'autre. Une forme d'équilibre. C'est pourquoi il cessera de chasser quand il cessera d'opérer... Bref.
A l'orée de sa vie, celui-ci décide de façon touchante de reprendre les rênes de sa vie, et de l'humaniser à nouveau : car petit à petit, en vieillissant, une certaine solitude inévitable l'éloigne de ses frères humains. Ca c'est touchant. Il souhaite que des personnes familières, qu'il aura choisis, s'occupent de lui lorsqu'il ne le pourra plus. Il recrute quatre personnes pour se relayer auprès de lui, en divisant chaque journée en quatre "plages" horaires.
Du coup, il y a ces inconnus, qu'il a triés sur le volet, qui l'ont touché, et dans la vie desquels nous pénétrons. Entre ces cinq-là, entre cet Octave et chacun individuellement, se tisse une histoire. Une belle histoire d'attachement, loin du pathos et des sentiments qui dégoulinent à la Et puis Paulette (Constantine, que j'aime pourtant assez par ailleurs). Ici, c'est rugueux. Aucun n'a été épargné par les cabosses de la vie. Chacun se rebricole, se reconstruit comme il peut. Et puis au coeur du récit, il y a le drame d'Octave. La perte de sa fille unique, qu'il n'a pas sauvée après un accident de voiture. Sa femme, partie après cette mort. Les stigmates de ces pertes, qui réapparaissent et rejaillissent petit à petit, expurgés dans la douleur, autour d'une cabane où l'enfant avait trouvé refuge, où il entre comme en un sarcophage, petit à petit ; et l'écho des portraits du Fayoum, qui habite ce livre, puisqu'Octave, passionné par ceux-ci, va souhaiter qu'un tel portrait puisse être réalisé pour sa fille décédée... Et tous ces profanes, ce sont tous ceux qui se coltinent à la vie, comme ils peuvent, sans le soutien de la foi (comme son épouse)... C'est humain, c'est profond, beau, mais ce n'est pas toujours léger... A lire, toutefois.
• Profanes, Jeanne Benameur, éd. Actes Sud, 2013