Pour seul cortège
Il y a
ceux qui sont faits pour être portés, dotés d'une force inépuisable, tel Alexandre Le Grand ; et il y a ceux qui avancent, coûte que coûte, plus laborieusement, mais avec conviction, et foi :
c'est ainsi que leurs actes prennent de la valeur, et qu'ils engendrent des destinées... Non des grands hommes, ou des héros qui marqueront l'Histoire comme les premiers, mais des âmes qui
laissent leur trace, et marqueront de leur empreinte les autres hommes, et le cours des choses... Dryptéis, est de ceux-là, héroïne tragique s'il en est, caractérisée par sa maternité, qui la
porte, et la transcende, elle qui veut, à tout prix, se résignant à sa tragique destinée, sauver, quitte à le perdre, son fils.
Laurent Gaudé nous chante l'Antiquité, plus qu'il ne nous la raconte ; un temps fait de combats, d'alliances fugitives, de destinées tragiques, de morts et de croyances... Il nous donne envie de relire les grands tragédiens antiques, ou même l'Antigone d'Anouilh...
Des images puissantes jaillissent de ce texte ; des images marquées par le sceau du symbole, plus que par le réel.
Il nous livre un récit lyrique, du registre de l'incantation ; marqué par l'enchâssement des points de vue, que la mort ne capture pas, puisque les morts comme les vivants, omniscients, continuent de voir et de raconter, comme devenus souffles, portés par le vent...
Le récit est tout entier contenu, ramassé, dans cette phrase qui fait une boucle, ceint au début puis à la fin du livre par cette apostophe : "A qui appartiens-tu, Alexandre ?" ; cette phrase qui résonnait alors comme une accusation, et qui finit comme une leçon, "A qui appartiens-tu, Alexandre ?" "A vous mes compagnons, qui me ressemblez, à vous mes rêves lointains que je n'ai pas réalisés mais qui m'ont portés (...), à mes compagnons lancés au galop dans la plaine et à l'éternité qui s'ouvre devant moi".
A découvrir.
. Pour seul cortège, Laurent Gaudé, éd. Actes Sud. 2012.