La centrale :)
Voici un petit moment que j'avais envie de lire
ce livre. Les avis étaient partagés, mais il semble qu'il valait le détour. Je confirme. On m'avait dit qu'il n'était pas facile à lire, qu'il fallait s'y reprendre à plusieurs fois parfois pour
assimiler certaines phrases : c'est vrai, et je comprends mieux pourquoi. Si le vocabulaire n'est pas forcément trop technique, il faut cependant prendre le temps de visualiser ce que la phrase
décrit, et qui est inconnu pour nous. Et comme il s'agit d'un monde géométrique, avec des cylindres, des demi-bols, etc., la visualisation n'est en effet pas instantanée. En outre, ses phrases
semblent... radioactives : déstructurées, désincarnées, constituées d'enchâssements de propositions de coordination (beaucoup de "et"), ou très courtes, nominales. Finalement, le livre est très
"géométrique" : il y a l'univers de la centrale, et puis il y a celui entre deux centrales pour le travailleur intériméraire, considéré comme des lignes dans l'espace bien plus que comme des
changements identitaires de régions, ou comme des paysages...
J'ai beaucoup aimé ce livre ; il nous donne à voir Yann, originaire de Lorient, qui, pour vivre, parce que c'est là que ça embauche, enchaîne les contrats d'une centrale à l'autre. Sans pathos, de façon technique, presque chirurgicale, on touche du doigt les risques, quotidien des hommes ; on découvre les contraintes, la réalité du travail dans une centrale nucléaire, les précautions, les visites médicales, les reconstitutions d'incidents, les différentes classifications de zones au sein d'une même centrale, les sas, les vestiaires, les tenues de protections. Ceux qui y arrivent, et ceux qui craquent. Le seuil de radiation, qui se mesure en millisieverts, scruté de près grâce à un appareil qui enregistre les "doses". Et qui peut aussi faire exclure pour un an un salarié, paradoxale expulsion, lorsque le salarié a été trop exposé et que sa charge a dépassé le seuil annuel. Et puis aussi ce qui se passe quand ça déconne, comme à Tchernobyl, dont l'auteur passe au crible ce fameux 23 avril 1986...
Assez fort aussi, la façon dont l'auteur incarne un "je", narrateur masculin. Sachant que l'idée du livre est partie du suicide de trois employés de la centrale nucléaire de Chinon, et de son envie de comprendre...
Un livre très intéressant, vraiment.
. La centrale, Elisabeth Filhol, éd. POL, janvier 2010.