Du Domaine des murmures :))))
J’ai adoré ce livre. Je l’ai tellement aimé qu'il m'est presque
difficile de dire ce que j’ai préféré ! Commençons par le début : l’histoire. Celle d’Esclarmonde, jeune fille de 16-17 ans au début du roman, en 1180. Le jour de ses noces, elle refuse son
époux, Lothaire, qui a ravi tant de virginités… Alors, devant l’autel, au moment du « oui », c’est un « non » qu’elle prononce, et se tranche l’oreille, pour preuve de sa détermination. Demandant
pour expier ce voeu en contradiction avec ce qu’on attend d’elle à être emmurée vivante jusqu’à la fin de ses jours. Ce qui se passera.
L’auteur nous livre alors l’histoire de cette femme qui résiste face au courant de son époque, une époque où les femmes n’ont pas voix au chapitre, condamnées à être prises et à subir. Evidemment, on songe à Antigone, autre résistante en son temps, et autre fidèle à ses convictions jusqu’à la mort… Violée le jour de sa reclusion, Esclarmonde enfante en cellule, enceinte sans le savoir d’un enfant, la jeune fille emmurée se transforme en mère, et c’est son destin qui en est modifié. Ce déchirement de la mère est formidablement bien rendu, on le ressent jusque dans ses tripes. Cet enfant va vivre au dehors, elle restera enfermée à l'intérieur de sa tour prison...
J’ai été avalée par ce livre comme par un tourbillon merveilleux ; même s’il est fait de larmes et de sang, il est aussi emprunt de foi, de détermination, d'abnégation ; le style lui-même désarçonne, emporte ; comme incarnées, les phrases finement ciselées contiennent tout à la fois le monde, qui sont des projections du corps, comme le monde ne peut être que cela pour la recluse. Il y a ce magnifique et tragique paradoxe, le pouvoir des immobiles : les recluses qui existaient ainsi au Moyen-Age, acquérrant ou presque un statut de sainte de leur vivant ; sans quitter sa tour, Esclarmonde est bientôt investie d’un pouvoir, d’une aura… Les personnages secondaires sont également extraordinairement bien campés ; ce Lothaire qui se transforme de façon inattendue, et qu’elle « aurait pu aimer », la belle et forte Bérangère, à la robe verte, le père, l’enfant aux mains percées, et tous ceux qui gravitent dans ce domaine des murmures. Les hommes en ce temps contenaient en leur main le destin des femmes ; Esclarmonde, qui s’en remet à Dieu en pensant s’en défaire, échappant, pour un terrible prix, à la destinée tracée par son père et à son époux est rattrapée pourtant par la force de l’église, et… ne lui survivra pas. C’est profondément boulerversant.
Une plongée merveilleuseuse dans les temps difficiles du Moyen Age, et on se dit que vraiment, on a de la chance de vivre à notre époque…
• Du Domaine des murmures, Carole Martinez, éd. Gallimard NRF, octobre 2011.