Cinq femmes chinoises
Il y a Xiu, la férue de
gymnastique, gymnastique qu'elle garde en elle comme un petit bout perdu de son enfance. Daxia, sa fille, celle qui veut fabriquer "des abris pour y nicher des hommes, les arracher à la
bouillasse" et qui devient pour cela architecte. Mei, la meilleure amie de Daxia, la "fashion victim", celle qui veut vivre "tout de suite au mieux avant de mourir, pourir". Fang,
la riche épouse, l'homosexuelle, dans un pays où cette différence est sévèrement réprimée et punie ; et Baoying, belle-soeur de Fang, fascinée par la cuisine, marquée par la rudesse de son
destin...
Pourtant, dans ces vies-là, on avance. On ne s'appesantit pas. A Pékin, Shanghaï, Hong-Kong...
A l'image, assez belle, de Fang qui contemple le monde derrière la vitre de son appartement au 41ème étage de la grande ville, Chantal Pelletier déroule, en accéléré, à nous en donner le vertige, le cours de ces cinq vies. Des vies emprisonnées dans un héritage familial, souvent vécu comme un fardeau qu'on porte et qu'il faut rejetter pour s'extraire, emprisonnées par l'histoire de la Chine.
Les drames sont forts, mais on passe : on est troublés par ce mode narratif qui nous entraine très vite d'un événement à l'autre, via des phrases courtes, des enchainements d'actions incessants, comme si les événements n'avaient pas de conséquences morales, mentales, psychologiques (la rédemption, le pardon, l'oubli, le deuil, la culpabilité semblent ne pas exister). Finalement, le paysage est le seul qui s'humanise parfois, mais dans l'outrance, le choc, la brutalité. Le paysage est animal monstrueux, qui broie, écrase. Ca aussi, il faut faire avec. L'humain est à sa toute petite place, toute petite, celle où il maîtrise si peu, bien loin d'une forme d'arrogance occidentale, où l'on a l'illusion qu'on peut tout maîtriser, décider. Dans ces vies chinoises, tout bascule sans avertissement, et il n'y a d'autre choix n'est autre que de courber le dos et d'avancer encore. Ces femmes sont des combattantes de la vie. Où le sentiment n'a que très peu sa place.
Un récit froid, glacé, à l'image de ces visages de porcelaine de femmes chinoises ; un récit vertigineux, écrit sans fioriture, assez proche de ce qu'on imagine de l'état d'esprit chinois : celui
de la nécessité.
. Cinq femmes chinoises, Chantal Pelletier, éd. Joëlle Losfeld. Janvier 2013. Chantal Pelletier sera présente au salon Etonnants Voyageurs à Saint-Malo du 18 au 20 mai.