...6
Jacques BREL
Balade d'une dévoreuse de livres
C'est mal écrit. Vraiment, c'est la première phrase qui me vienne à l'esprit à propos de ce livre... C'est d'ailleurs très embêtant, parce que j'aimerais bien m'arrêter là, comme pour tout livre
écrit "à la truelle" (et il y en a...). Mais... pas de bol ! j'ai trouvé un intérêt au récit.... Alors c'est très gênant. Car comment mettre d'un côté le style, aux orties, et de l'autre, le propos ? L'un ne va pas sans l'autre, non ? D'un côté l'écriture, donc, relachée,
terriblement relachée, truffée d'interjections, d'interrogations familières, de "je te passe" agaçants... Il faut vous dire en effet que tout le propos est adressé à quelqu'un ; autrement dit, le
narrateur raconte son histoire en disant "je" à un "tu". Evidemment, on s'attend à ce qu'on nous délivre enfin l'identité de ce mystérieux interlocuteur à cause duquel on subit ce texte. On
espère une idée géniale, une trouvaille qui rattrappe le bouquin... Point ! Donc, je vous le dis, on ne saura pas à qui s'adresse le récit. Je n'ose pas imaginer que ce "tu" nous étais destiné, à
nous lecteur, ou alors, autant le dire tout de suite : c'est très désagréable qu'on s'adresse à nous comme si on était attablé au même comptoir d'un café. Et c'est ça qui horripile : difficile de
ne pas trouver l'auteur fainéant, et finalement peu respectueux de son lecteur, pour utliser un tel subterfuge (je m'adresse à quelqu'un donc je peux utiliser les tournures orales) pour légitimer
le fait de ne faire aucun effort dans l'écrit (Ben oui, j'écris comme je cause, quoi). Grrrrrr. Par ailleurs, difficile de ne pas trouver certains commentaires ou analyses (de la situation
extérieure) "beauf", convenus, sans grande recherche et du coup un peu limités. Mais, finalement, ce n'est pas le propos. Et là, l'auteur ne s'en sort pas si mal : ce qu'il nous raconte, c'est
l'histoire d'un homme marié trompé par sa femme... Et ses ressentis sont passés au crible, sous la forme d'un monologue, donc, de la même manière que le caractère des deux personnages, le sien,
par lui même et sans concession (c'est déjà ça), et celui d'Alexandrine, sa femme. Les portraits donnent à voir des figures plutôt réelles et réalistes, dont les actes et les propos révèlent les
névroses du couple dans la société moderne.
Reste LA question : dans quelle mesure l'écriture sert-elle ou dessert-elle le propos ?...
. J'étais derrière toi, Nicolas Fargues, Folio.
J'entre dans le livre en sachant que c'est LE livre qui a conquis les foules nordiques, et que c'est LE roman écologique par excellence. Franchement, je ne savais
même pas qu'il pouvait y avoir des "romans écolo". Ca veut dire quoi ? Qu'après l'avoir lu, vous prenez votre carte au parti ? Vous écrivez une lettre d'amour à Cohn-Bendit ? Vous filez sur la
plage la plus proche pour la passer au peigne fin et la nettoyer de ses immondices ? Eh bien, j'ai vu. C'est presque tout ça à la fois. Si. Enfin, si vous accrochez ! Donc, de quoi il retourne ?
Le personnage principal, Vatanen donc, est un journaliste, parti en reportage avec un collègue. Revenu de tout, de sa vie sentimentale, et de sa vie en général. Soudain, un lièvre traverse
la route. Coup de frein. Les deux hommes sortent de la voiture, et tandis que l'un reste dans les préoccupations de la vie réelle, pour l'autre la vie bascule : le lièvre, alibi du récit, va
changer la vie du journaliste. C'est sans doute ça LE propos le plus intéressant du livre : tout d'un coup, parce qu'on est prêt, attentif au monde et réceptif aux événements, une chance s'offre
à nous de changer notre vie. Qu'est-ce qui fait que c'est "ça", ce petit détail insignifiant (là, le lièvre), qui fait tout basculer ? Eternelle grande question. A laquelle chacun trouve ses
réponses, même si ici, le personnage ne les cherche pas. Notre personnage principal va rythmer sa vie sur celle du lièvre, et transformer la sienne... Nous plongeant dans un monde rural qui nous
ramène des décennies en arrière, dans un espace temps qui n'a plus les mêmes codes que ceux de notre monde qui va trop vite et laisse derrière lui sa traîne d'insatisfactions. Vatanen en tous cas
tourne la page, pour se rapprocher des vraies valeurs de survivance, de chaleur et d'amitié... D'ailleurs, le cheminement de celui-ci va le mener à trouver l'amour : se trouver soi mène au chemin
vers l'autre...
Très éloigné de l'appitoiement, on est ici dans le constat brut, et dans la narration des faits. Le livre est une parabole, en somme, qui nous raconte un parcours initiatique, sur fond de
remise en question de la vie moderne. Et évidemment, ceux qui assistent à la transformation (ou la subissent) sont dépeints avec une relative finesse comme des êtres peu sensibles, enfermés dans
leurs préjugés... Forcément. Histoire de rappeler qu'il est difficile de s'affirmer différent.
Ca n'est pas sans rappeler "L'Alchimiste" de Poelho Coelo, dans l'extrême simplicité du propos se voulant message universel... Mais en mieux.
. Le Lièvre de Vatanen, Arto Paasilinna
"C'est en allant vers les autres qu'on se rapproche de soi même".
Patrick ESTRADE
Sur son répondeur, Virgile trouve en rentrant chez lui un message de
rupture d'une certaine Clara. Le hic, c'est qu'il ne connaît pas cette Clara... A partir de cet événement ubuesque, le narrateur nous raconte le quotidien d'un homme presque normal, qui réussit à
vivre dans le monde moderne en ayant strictement délimité son univers. Le coup de fil fait tout basculer. Habilement, il passe au crible notre société, ses rouages, et ses incohérences... Poussés
à son paroxisme, les raisonnements du personnage principal finissent par déboucher sur des situations absurdes. Comme lorsque, se croyant gravement malade, il résilie tous ses abonnements,
contrat de location, etc. en prévision de sa mort, ou quand il décide qu'il ne veut pas de la promotion professionnelle qu'on lui offre, parce qu'il ne veut pas troubler sa tranquillité : "Si
vous me donnez cette promotion, je démissionne !"... Le regard est cru, les comparaisons faussement naïves sont provocatrices et font mouche. Avec son anti-héros, l'auteur nous fait,par ricochet,
réfléchir en douceur au sens de la vie, et à ses petites incohérences...
. Peut-être une histoire d'amour, Martin Page, Editions de l'Olivier, 18 euros.