... 304
"On ne peut se transformer qu'en une chose qui nous appartient intimement".
Silvana GANDOLFI
Balade d'une dévoreuse de livres
"On ne peut se transformer qu'en une chose qui nous appartient intimement".
Silvana GANDOLFI
"Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être".
William SHAKESPEARE
Entrer dans un Grimbert me demande, je ne sais pourquoi, un effort particulier. C'est une impression que j'avais déjà ressentie en lisant 'Un secret' (dont je ne garde d'ailleurs aucun souvenir), et force est de constater qu'une fois encore, entrer dans celui-ci m'a demandé le même effort. Je ne sais pas pourquoi, au fil de la lecture, surtout au début, les mots ne s'impregnent pas en moi, ne font pas sens, si bien que je suis obligée de relire plusieurs fois les phrases pour les incorporer, et que 'ça fasse histoire'. Je ne me l'explique pas. Peut-être les descriptions 'extérieures' y sont pour quelque chose ? Je ne sais pas. En tout cas, je ne regrette pas ma persévérance, car j'ai beaucoup aimé celui-ci. Peut-être mes trois heures de train n'y sont pas étrangères, le fait est que j'ai lu ce petit livre dans son intégralité ou presque pendant ce trajet... Qu'en garderai-je ? J'espère plus quelque chose, et en tout cas plus qu'Un secret ! Mais de cela nous n'avons pas le pouvoir de décider...
Bref. Ici se tissent le portrait, en plein ou en creux, de plusieurs 'garçons singuliers', dont les visages, la réalité se superposent... Et nous mènent à plusieurs histoires d'attachements, pour au final, sortir le narrateur de sa 'singularité' douloureuse... C'est donc l'histoire d'un étudiant, qui, confronté à la nécessité de gagner sa vie, et ne sachant qu'en faire, répond à une annonce, où il est demandé d'officier comme garde d'un enfant singulier... Il se trouve que cette mission a lieu exactement sur les lieux où il passa tous les étés de son enfance, et où il connut une amitié masculine, forte, enfouie en lui, intranquille, et un peu nostalgique. Une incroyable relation va se tisser entre ce jeune homme, et le jeune garçon qu'il est chargé de garder ; un garçon sensible, et qui perçoit bien plus qu'il n'y paraît. Sans parler du couple, qui se débat comme ils peuvent avec cet enfant difficile ; très juste et belle peinture, des choix parentaux, tels qu'ils se sont matérialisés là : le père, loin, qui gagne sa vie en haut d'une tour de la Défense, la mère, qui vit difficilement, sombre dans la dépression, puis reprend son activité d'écrivain ; elle aussi aura une personnalité marquante, et non négligeable, absolument pas dans la bienveillance, mais constitutive, pour le narrateur... Une agréable lecture.
Merci à Clotilde pour cette transmission !
Un garçon singulier, Philippe Grimbert, Poche. Paru en mars 2011;
C'est une belle découverte, hasardeuse, mais guidée par une lectrice bienveillante qui se reconnaîtra :), que celle-ci. Et j'ai vraiment pris un plaisir infini, progressif, croissant, à la lecture de ce livre, à cotoyer tous ses personnages. J'ai aimé l'enchassement de la narration. J'ai connu la même impatience que l'héroïne (enfin, est-ce vraiment l'héroïne, pas vraiment !), cette trentenaire qui quitte New-York sur un coup de tête à la recherche improbable de son père, disparu mystérieusement il y a quatre ans. Que va t-elle vraiment chercher à Rangoon, elle semble ne pas le savoir vraiment, ou plutôt si, 'la vérité'. Celle que sa mère a deviné, et dont elle ne veut surtout rien savoir de plus. Alors on est entrainé dans les 20 premières années de celui qui semble bien être son père, à travers le récit merveilleux, tel un conte, d'U-Ba. Personnage rencontré sans que le hasard semble y être pour quelque chose, et qui semblait l'attendre et la connaître. C'est à une réconciliation avec les sens, la puissance des autres sens que la vue, qu'on y invite ici. Et que c'est beau, et touchant, et tellement fort cette idée qu'on ne voit pas bien avec les yeux, ni avec les pieds qu'on voyage ! Cette osmose qu'on découvre, par delà la séparation, entre deux êtres frappés de cécité, et de handicap, est d'une beauté à couper le souffle ; on aime ces personnages, on les voit, arpenter le village de terre, lui bien campé sur ses pieds, elle sur ses épaules; lui servant de regard... On aime l'accuité de l'ouïe du jeune homme, privé de sa vue ; la force de l'attachement, à travers ces gens simples, tant celui, inconditionnel de ces deux personnages, mais aussi entre Su Kui, qui prend l'enfant (le père) sous son aile, l'aimant intuitivement, dans ses premières années de vie... Et la manière dont les destins se dessinent, se tracent, se marquent, et la façon dont les personnages s'y plient.
C'est une très très belle lecture, qu'on a toujours envie de prolonger...
Merci à Delphine, pour sa judicieuse recommandation, et sans qui je n'aurai sans doute pas lu ce livre.
L'art d'écouter les battements de coeur, Jean-Philippe Sendker, JC Lattès, mars 2014.
"Nos organes sensoriels adorent nous égarer, et nos yeux sont les plus trompeurs de tous. Nous avons bien trop confiance en eux. Nous croyons voir le monde qui nous entoure et pourtant nous n'en percevons que la surface. Il nous faut apprendre à deviner la vraie nature des choses, leur substance, et à cet égard, les yeux sont plus un obstacle qu'une aide".
Jean-Philippe SENDKER
Roman ado.
Encore un cadeau, chaque fois renouvelé, que de lire Blondel ! Je vais me répéter, ceux qui ont l'habitude de me lire sur ce blog le savent, mais vraiment, Blondel ne me déçoit jamais. Là encore, c'est un très joli roman ado, très juste.
Dans la peau de Quentin, ado brillant mais un peu désabusé, après avoir été forcé de changer de monde, en changeant de lycée, en passant d'un lycée de banlieue à un lycée chez 'les bourges'. Il ne cherche pas à s'intégrer, certes on pourrait se dire que malgré ça ça se passe trop bien pour lui, mais quand même. La peinture du couple parental (besogneux, travailleurs, mère qui courbe l'échine, père silencieux et consommateur de télé qui a abdiqué) est chouette, la prof de français, La Fernandez, excessive, évidemment, comme a tous connus une prof de français, est elle aussi belle. Est-ce qu'on peut y croire à ce garçon brillant, qui ne sait pas quelle voie l'attend, mais qui va relever le défi de cette prof, et incarner le rôle principal d'une pièce de théâtre qu'elle lui aura fait lire ? Je ne sais pas. Peu importe. On est bien, dans cette histoire, avec cet ado qui se débat quand même avec ce qu'il a... La relation avec la petite soeur, est là encore touchante. Ces personnages semblent vivants, ils pourraient vivre à côté de nous. Encore un beau plaisir de lecture grâce à Jean-Philippe Blondel.
Double Jeu, Jean-Philippe Blondel, éd. Actes Sud Junior. Sept 2013.
J'ai beaucoup aimé ce livre comme une ballade mélancolique. Mélancolique et forte. Qui vient sonder la marge, ceux ou plutôt celles qu'on ne peut pas comprendre, parce que leurs maux ne sont pas compréhensibles du commun des mortels. C'est rendu avec une vraie sensibilité, une dureté aussi parfois complément en adéquation avec la rudesse de ces vies. Au coeur du récit, Piki, emblématique, rendue charismatique par la narratrice, qui en est amoureuse. Tout le livre est un déchirement. Le déchirement de la narratrice qui voit agir et sombrer cette femme en toute impuissante, sans pouvoir la sauver, jusqu'au sa prise de distance, nécessaire, et jusqu'au naufrage, finalement presque commun par ricochet, qui ne put être que la seule issue de Piki. C'est vrai qu'on garde en mémoire ces deux vies paumées ; Piki souffre de troubles paniques ; elle finit, un jour, après avoir sans doute bravé ses peurs, ses phobies et avoir écumé les bars de nuit dans sa jeunesse, par écouter ses peurs et ne plus sortir de chez elle. Pendant dix ans. On lui fait ses courses, on lui lave son linge, elle ne peut plus affronter le monde extérieur. Perversement entretenue par son ex-petite amie dont on se demande si finalement ce l'est pas une façon de garder cette femme à sa merci ; et au grand désarroi de la narratrice habitée par cette femme, elle aussi souffrant de dépression... C'est beau, souvent poétique. C'est un beau chant d'amour désespéré, qui parle de l'impuissance de ne pas pouvoir sauver l'autre, même l'aimé, malgré soi.
. Baby Jane, Sofi Oksanen, éd. Stock en 2005. Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli. (Publié en Finlande en 2004).